Présentation de l’auteur Christine Orban est une femme aux multiples facettes qui semble avoir vécu, comme un chat, 9 vies, tant son vécu est riche. Elle est écrivaine, dramaturge, critique littéraire. Née au Maroc, elle arrive à 18 ans en France pour poursuivre des études supérieures. Après avoir suivi suivi des études de droit, comme le souhaitait son père, elle fait le choix de retourner à ses premiers amours, la littérature. Elle publie alors, en 1986, son premier roman « Les petites filles ne meurent jamais », sous le nom de Christine Rheims. Vint-cinq livres et de nombreuses nouvelles suivront au fil des années. Le 29 février dernier est paru, chez Albin Michel, son dernier roman « Est-ce que tu danses la nuit… ». Présentation du livre « Est-ce que tu danses la nuit…. » est un roman gracieux, entouré de mystères. En effet, sa quatrième de couverture ne comprend qu’une phrase de l’auteure elle-même : « Je voulais raconter l’histoire d’une attirance irrésistible. Raconter l’échec de la morale confrontée au désir. Raconter un amour déplacé. » C’est l’histoire d’un triangle amoureux : il y a le jeune garçon rebelle, Marco, sa petite amie adolescente aux charmes méditerranéens et Simon, le père de Marco, quinquagénaire qui se pense sur le déclin de la vie. C’est un roman solaire sur l’amour, les conséquences des choix, empreint d’une forme de nostalgie qui bride les pas des personnages.
J’ai eu la chance de rencontrer l’auteure, Christine Orban, lors de sa venue pour la promotion de son livre à Bruxelles, le 2 mars dernier. Cette rencontre a été l’occasion de l’interviewer sur sa vie mais aussi sur ses oeuvres.
C’était la première fois que j’ouvrais et lisais un livre écrit par vous mais lorsque je découvre un auteur, j’aime me plonger dans sa biographie pour en découvrir un peu plus sur lui. C’est ainsi que j’ai appris que vous aviez fait des études de droit (petit clin d’oeil, car j’ai suivi le même cursus) avant de devenir clerc de notaire. Peu de temps après, vous avez laissé tomber cet emploi afin de vous consacrer pleinement à l’écriture. Avez-vous parfois ressenti des regrets pour ce revirement de carrière?
« Aucun! J’ai écrit dans « N’oublie pas d’être heureuse », un de mes romans, à propos de ce moment du choix. Cela m’est arrivé à moi après mes 7 années de droit. Je me suis alors dit : soit je fais des études de droit et je vais jusqu’au bout; soit, je vais là où mon coeur me porte et c’était la littérature. Quand vous avez 25 ans, on vous regarde avec de grands yeux en se demandant « Mais c’est qui celle-là?! »
Cela a donc dû être un grand saut dans l’inconnu pour vous. Et par rapport à votre entourage? Vous avez été soutenue ? Ou avez-vous dû leur faire comprendre que quoiqu’il arrive, c’était votre choix ?
Mon père est mort quand j’ai eu 18 ans. Pour sa mémoire, j’ai fait mes études de droit jusqu’au bout. Après, je me suis donnée le droit de vivre ma vie et de prendre des risques. Parce que, c’est cela la vie. Je me suis rappelée de ce que mon père me disait : l’écriture est un peu un métier de saltimbanque. Il se pouvait aussi très bien que je ne fus pas éditée mais j’ai pris le risque. Il faut faire ce que l’on aime.
Cet amour de la littérature, d’où vous vient-il?
Je dirais qu’il me vient de ma fragilité, de ma mélancolie. Je me suis soignée avec les mots. J’étais une bonne lectrice jeune, j’aimais beaucoup lire. Et toutes les petites phrases, j’en ai fait un livre, « Petites phrases pour traverser la vie en cas de tempête… et par beau temps aussi ». Celles qui m’aidaient à vivre, je les écrivais sur les murs de ma chambre. Et là, il y a quelques années, j’en ai fait un livre qui s’est vendu à 160.000 exemplaires. Mon éditeur m’avait dit que les aphorismes, ça ne fonctionnait jamais. Ensuite finalement, pour me faire plaisir, il l’a pris et puis voilà.
La mélancolie est très présente dans vos livres. Pourtant, n’est-ce pas justement difficile d’écrire sur sa mélancolie?
J’ai passé ma vie à la maquiller en roman. Cela devient celle de mon héros ou de mon héroïne. Et puis, c’est peut-être une façon de s’en libérer. Un livre, au bout d’une vingtaine de pages, vos personnages en deviennent des personnes, des amis. Ils vous ressemblent et c’est très réconfortant.
Quitter ses personnages est donc un processus difficile pour vous? Une espèce de perte?
Effectivement… Au début, j’avais même un baby-blues. Alors, j’avais ma petite méthode : je débutais un nouveau livre avant d’en finir un autre. C’est une bonne méthode. On n’est alors jamais seul, on rebascule dans un autre monde.
Dans votre dernier livre « Est-ce que tu danses la nuit… », vous indiquez dans les premières pages que l’idée principale vous est venue en regardant un jeu télévisé où une inconnue répondait à la question « Avez-vous un secret? », « Oui, j’ai aimé le père de mon petit-ami ». Est-ce plus facile de s’inspirer ainsi d’un inconnu ou de prendre des personnages historiques et des faits réels comme vous l’avez fait pour « Quel effet bizarre faites-vous sur mon coeur » où vous vous êtes inspirée du courrier échangé entre Joséphine, alors répudiée et Napoléon, exilé sur l’île d’Elbe?
Je suis autant Tina, que Joséphine, que Napoléon, que Simon. Parce que ce que j’ai fait avec Joséphine et Napoléon, est d’essayer d’analyser le moment de la répudiation. Cela m’intéressait pour voir ce qu’il se passait dans la tête de Joséphine, dans la tête de Napoléon. Les conseils de Napoléon ont aidé des amis à moi parce qu’il disait que la souffrance avait un seuil qu’il ne fallait jamais dépasser. Il était tellement charismatique qu’il a presque aidé à la soigner alors que c’est lui qui l’avait quitté. Il y a toujours quelque chose qui m’intéresse personnellement. Là, c’était personnellement mais aussi pour aider. Je voulais voir comment c’était passée cette répudiation.
Alors, petite curiosité de ma part : pour votre prochain livre, vous pensez vous inspirer encore d’un ou un(e) inconnue ou alterner avec un personnage historique (comme Napoléon ou Virginia Woolf)? Ou est-ce vraiment au feeling et au moment présent que les histoires vous viennent?
Oui et en même temps, Virginia Woolf est une des rares écrivaines qui a épousé un éditeur, comme moi. Nous ne sommes pas beaucoup dans ce cas. Je voulais aussi voir les réactions de Virginia avec son mari. J’aime beaucoup Virginia Woolf. J’ai découvert dans « Orlando » une chose qui la passionnait : elle avait transformé son histoire d’amour en personnage de roman. C’était vraiment très intéressant pour moi de voir la naissance d’une héroïne. Je voulais aussi montrer que les écrivains sont des vampires : leurs romans, leur vie imaginaire est plus importante que tout et ils sont capables de transformer, comme elle, une histoire d’amour en roman.
Vous parlez de vos livres comme si vous les reviviez. On vous en sent très passionnée.
Ils sont tous très importants pour moi. Ils m’ont aidé à vivre, à grandir et à comprendre le monde. Je ne les oublie vraiment pas. Il y a toujours quelque chose de très fort.
Est-ce que vous avez déjà une idée du personnage historique que vous souhaiteriez transposer dans vos prochains livres?
Vraiment pas. Je ne sais pas de quel personnage historique je compte m’inspirer dans le futur.
Par rapport au mouvement « #MeToo »,vous n’avez pas « peur » que cette relation amoureuse entre une jeune fille qui sort à peine de l’adolescence et ce quinquagénaire ne soit considérée comme un peu « immorale »? Bien entendu, il n’y a aucune perversité dans votre livre « Est-ce que tu danses la nuit… » mais que la bienséance ne crie au scandale et que cela se « retourne » contre vous?
Non, car je suis du côté des femmes. Dans mon précédent livre, « Avec le corps qu’elle a… », c’était sur les blessures invisibles. Mon héroïne avait été blessée avec la phrase « Avec le corps qu’elle a, cela va être facile pour elle ». On peut aussi être blessée par les mots, tout dépend de notre degré de sensibilité. Ce n’est évidemment pas grave comme une agression physique mais c’est une agression morale, une agression d’un autre type qui ne laisse pas de trace apparente. C’est donc plus difficile à reconnaître et à faire admettre. J’ai donc écrit un livre là-dessus et on sait donc que je suis du côté des femmes avec leurs combats. Ce qui m’intéressait tout à fait en dehors des femmes que je soutiens et que je respecte, c’est d’inventer une histoire d’amour assez, comment dirais-je, pas limite, mais dans un contexte compliqué. C’est vrai que l’amour peut exister aussi malgré les difficultés (que ce soit la différence d’âge, que ce soit le lien de parenté sans parler d’inceste). Ce n’est pas un amour interdit mais on peut dire scandaleux, déplacé peut-être. Mais pas interdit. Ce qui m’amusait, m’intéressait, me passionnait, c’était de montrer cette lutte entre le désir et la morale. C’est le désir qui gagne parce que c’est un amour irrésistible.
Pourquoi avoir placé l’histoire en Grèce? Une raison particulière?
Oui, parce que je pense que la sensualité, la provocation naissent plus dans les pays chauds puisqu’on se montre plus nu, en maillot, en robe à bretelles. Il y a une très grande sensualité. Tina est jeune et pour un homme de 55 ans, elle est attirante.
Effectivement, on l’imagine belle, pulpeuse comme peuvent l’être les méditerranéennes…
Oui, c’est plus facile de la décrire comme un objet de péché, attirante quand en plus elle est pied nus avec des petites jambes bronzées (note de la rédactrice : référence à la très jolie couverture).
En fait, ce livre se prêterait aisément à en devenir un film.
C’est ce que l’on m’a dit. On va voir. Cela n’est jamais facile d’adapter même si je l’ai monté, un peu involontairement, comme une tragédie grecque. C’est une tragédie des temps modernes. Cela semble évident, cette attirance peut arriver. Les filles jeunes sont plus matures que les garçons de leur âge. Elles peuvent préférer la maturité d’un homme qui n’est pas un gamin. A 18 ans, une fille c’est déjà presque une femme alors qu’un garçon peut encore être un gamin. Pas tous bien entendu, il ne faut pas généraliser. Mais j’ai remarqué cela souvent pour les filles.
Vous, Christine, quel type de lectrice êtes-vous?
Pour moi, c’est voyager. Quand je peux prendre un livre et m’arrêter, c’est parfait. Je me souviens des bons livres. Comme je ne suis pas journaliste, je peux refermer un livre. Je l’ai été aussi mais plus maintenant. Quand un livre ne me plaît pas, il suffit de le refermer. Quand j’aime un livre par contre, je suis une lectrice qui souligne, qui annote, qui ne prête jamais mes livres car ils sont illisibles après moi. Je les garde. J’ai une bibliothèque des livres aimés.
Relisez-vous parfois certains livres?
Oh oui, ça m’arrive très souvent de relire un livre.
Peut-être parce que, selon les moments de la vie, on y porte un autre regard?
Effectivement, c’est tellement vrai. Il y a des livres où ce n’était pas le moment. On n’arrive pas à rentrer dedans. Puis après, on y arrive. Puis, il y a des livres qui peuvent correspondre à des époques de votre vie aussi. Au fond, c’est très agréable de se dire qu’on n’est pas seul quand on lit un livre. Il y a quelqu’un qui pense comme moi, quelque part sur cette terre. Il y a quelqu’un qui a les mêmes idées que moi. Je trouve que c’est réconfortant, quand on est dans la solitude, même si je suis mariée et que j’ai des enfants, je suis seule dix heures par jour dans mon bureau. Je ne suis pas seule : je suis seule en réalité mais je ne me sens jamais seule parce que je lis, les personnages sont comme s’ils étaient avec moi. Je connais bien certains héros et certaines héroïnes, qui sont devenus comme des amis. Je ne fais rien sans me demander ce que Virginia Woolf aurait fait à ma place. J’ai lu et relu tous ses livres, son journal. Quand un écrivain a un journal, vous rentrez plus dans son intimité. C’est extraordinaire le journal, surtout de Virginia Woolf. Quand j’écris, alors je n’ai pas très envie de les quitter parce je suis attachée à Tina, à Simon, même à Marco, un peu lourdaud (rire).
Et en même temps, il a son charme car c’est le rebelle qui fait craquer les minettes.
Effectivement et pourtant quand Tina le quitte, elle se dit que plus jamais elle n’ira écouter Pink Floyd sur la plage. C’est aussi l’adieu à la jeunesse. Tout d’un coup, elle va dans les palaces avec un homme plus âgé qu’elle.
Deux styles de vie totalement différents et pourtant pour chacun, Tina s’y rattache et elle se rend compte que les quitter, cela sera aussi quitter ce monde-là et ce n’est pas forcément ce qu’elle veut… C’est vrai que vos personnages sont chacun dotés de leurs qualités et de leurs défauts mais en même temps, ils sont si attachants. Au final, quand on en termine la lecture de votre livre, on se dit que cela sera difficile pour nous lecteurs de quitter ses personnages et qu’on serait bien rester encore quelque temps en leur compagnie.
C’est drôle que vous dites cela car j’ai reçu des lettres dans lesquelles on m’écrit en me posant des questions sur des éléments allant plus loin que l’histoire du livre. Ces lecteurs voulaient encore un chapitre en fait. C’est pour ça que j’ai eu du mal aussi à les quitter. Ils sont encore un peu là mais on les fait vivre en parlant du livre ici, ce dont je vous remercie.
Pour doucement terminer, si je devais vous demander un livre qui vous a le plus marqué tout au long de votre vie? Si on vous envoie sur une île déserte, quel serait le livre que vous emporteriez?
Je prendrais de la recherche car il y a tellement de choses dedans, c’est tellement vaste et tellement riche sur les relations humaines. Ils sont petits les livres de Stefan Zweig mais si je pouvais prendre tous ses romans… . J’adore Zweig. Une anthologie serait plus facile à emporter. J’adore Fitzgerald (« La fêlure »), Maupassant, …
Vous êtes plus livre papier ou livre électronique?
D’office, livre papier. Je suis une papivore. J’ai écrit 14 livres à la main. Sept fois chacun car je relis ou je refais sept fois pour recorriger. Et puis après, j’ai un ami qui me le met sur ordinateur. Depuis, je travaille un peu sur les deux. Je tape moi-même mais quand même 14 fois à la main entièrement.
Au final, je me rends compte que l’on n’a pris aucune photo. Il faut que l’on prenne une photo de nous (note de la rédactrice : voilà la genèse de cette jolie photo de Christine Orban et moi-même).